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VIII.

25 FLORÉAL AN II.


La cour où les amans vont chercher le silence et l’ombre est déserte ce soir. Fanny, qui étouffait dans l’air humide des corridors, vient s’asseoir sur le tertre de gazon qui entoure le pied du vieil acacia dont la cour est ombragée. L’acacia est en fleur, et la brise qui le caresse en est tout embaumée. Fanny voit un écriteau cloué à l’écorce de l’arbre, au-dessous du chiffre gravé par Cécile. Elle lit sur cet écriteau les vers du poète Vigée, prisonnier comme elle.

Ici des cœurs exempts de crimes,
Du soupçon dociles victimes,
Grâce aux rameaux des arbres protecteur,
En songeant à l’amour oubliaient leur douleur ;
Il fut le confident de leurs tendres alarmes.
Plus d’une fois, il fut baigné de larmes.
Vous que des temps moins rigoureux
Amèneront dans cette enceinte,
Respectez, protégez cet arbre généreux.
Il consolait la peine, il rassurait la crainte,
Sous son feuillage on fut heureux.


Après avoir lu ces vers, Fanny resta songeuse. Elle revit intérieurement toute sa vie si douce et si calme, son mariage paisible, sa douce maternité ; son esprit amusé de musique et de poésie, occupé d’amitié, grave, sans trouble ; et, songeant qu’elle allait mourir, elle se désola ; une sueur d’agonie lui monta aux tempes. Dans son angoisse, elle leva ses yeux ardens vers le ciel plein d’étoiles et elle murmura en se tordant les bras : — Mon Dieu ! rendez-moi l’espérance.

À ce moment un pas léger s’approcha d’elle.