Page:Anatole France - Autels de la peur.djvu/9

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Émile attacha ses petites mains aux boutons d’acier qui brillaient sur l’habit du médecin ; et Duvernay, le pressant sur ses genoux, s’amusa quelques instans des lueurs de cette petite âme naissante. Fanny appela Nanon. Une grosse fille parut, elle prit et emporta dans ses bras l’enfant dont elle étouffait, sous des baisers sonores, les cris désespérés.

Le couvert était mis dans la gloriette. Fanny suspendit son chapeau de paille à une branche de saule : les boucles de ses beaux cheveux blonds se répandirent sur ses joues.

— Vous souperez le plus simplement du monde, dit-elle, à la manière anglaise.

C’était la mode alors. Fanny était femme et suivait la mode.

De la place où ils s’assirent ils voyaient la Seine, et les toits de la ville, les dômes, les clochers. Ils restèrent silencieux à ce spectacle, comme s’ils voyaient Paris pour la première fois. Puis ils parlèrent des événemens du jour, de l’Assemblée, du vote par tête, de la réunion des Ordres et de l’exil de M. Necker. Ils étaient tous quatre d’accord que la liberté était à jamais conquise. M. Duvernay voyait s’élever un ordre nouveau et vantait la sagesse des législateurs élus par le peuple. Mais sa pensée restait calme et parfois il semblait qu’une inquiétude se mêlât à ses espérances. Nicolas Franchot ne gardait point cette mesure. Il annonçait le triomphe pacifique du peuple et l’ère de la fraternité. En vain le docteur, en vain Fanny lui disaient : — La lutte commence seulement et nous n’en sommes qu’à notre première victoire.