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volonté est morte obéisse à toutes les excitations extérieures, c’est une vérité que la raison admet et que démontre l’expérience. L’exemple que vous en apportez m’en rappelle un autre assez analogue. C’est celui de mon malheureux camarade Alexandre Le Mansel. Un vers de Sophocle tua votre héroïne. Une phrase de Lampride perdit l’ami dont je veux vous parler.

Le Mansel, avec qui j’ai fait mes classes au lycée d’Avranches, ne ressemblait à aucun de ses camarades. Il paraissait à la fois plus jeune et plus vieux qu’il n’était en réalité. Petit et fluet, il avait peur, à quinze ans, de tout ce dont les petits enfants s’effrayent. L’obscurité lui causait une épouvante invincible. Il ne pouvait rencontrer, sans fondre en larmes, un des domestiques du lycée qui avait une grosse loupe au sommet du crâne. Mais par moments, à le voir de près, il avait l’air presque vieux. Sa peau aride, collée sur les tempes, nourrissait mal ses maigres cheveux. Son front était poli comme le front des hommes mûrs. Quant à ses yeux, ils étaient sans regard. Maintes fois des étrangers le prirent pour un aveugle. Sa bouche donnait seule une physionomie à son visage. Ses lèvres mobiles