Page:Anatole France - Balthasar.djvu/114

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exprimaient tour à tour une joie enfantine et de mystérieuses souffrances. Le timbre de sa voix était clair et charmant. Quand il récitait ses leçons, il donnait aux vers leur nombre et leur rythme, ce qui nous faisait beaucoup rire. Pendant les récréations, il partageait volontiers nos jeux, et il n’y était pas maladroit, mais il y apportait une ardeur fébrile et des allures de somnambule qui inspiraient à quelques-uns d’entre nous une antipathie insurmontable. Il n’était pas aimé ; nous en aurions fait notre souffre-douleur, s’il ne nous eût imposé par je ne sais quelle fierté sauvage et par son renom d’élève fort. Bien qu’inégal dans son travail, il tenait souvent la tête de la classe. On disait qu’il parlait, la nuit, dans le dortoir, et que même il sortait tout endormi de son lit. C’est ce qu’aucun de nous n’avait guère observé de ses propres yeux, car nous étions à l’âge des profonds sommeils.

Il m’inspira longtemps plus de surprise que de sympathie. Nous devînmes subitement amis dans une promenade que nous fîmes avec toute la classe à l’abbaye du Mont-Saint-Michel. Nous étions venus pieds nus par la grève, portant nos souliers et notre pain au bout d’un bâton