Page:Anatole France - Balthasar.djvu/67

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Quoi encore ?

— Donc, il y en a qui croient que monsieur le curé est devin et qu’il jette des sorts.

— Quelle folie !

— Moi, monsieur, je ne dis rien. Mais, si monsieur Safrac n’est pas un devin qui jette des sorts, pourquoi lit-il dans les livres, donc ?

La carriole s’arrêta devant le presbytère.

Je laissai cet imbécile et suivis la servante du curé, qui me conduisit à son maître, dans la salle où déjà la table était servie. Je trouvai M. Safrac bien changé depuis trois ans que je ne l’avais vu. Son grand corps s’était voûté. Sa maigreur devenait excessive. Deux yeux perçants luisaient sur son visage émacié. Son nez, qui semblait agrandi, descendait sur la bouche amincie. Je tombai dans ses bras et je m’écriai en sanglotant : « Mon père, mon père ! je viens à vous parce que j’ai péché. Mon père, mon vieux maître, ô vous, dont la science profonde et mystérieuse épouvantait mon esprit, mais qui rassuriez mon âme en me montrant votre cœur maternel, tirez votre enfant du bord de l’abîme. Ô mon seul ami, sauvez-moi ; éclairez-moi, ô mon unique lumière ! »

Il m’embrassa, me sourit avec cette exquise