Page:Anatole France - Balthasar.djvu/68

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bonté dont il m’avait donné tant de preuves dans ma première jeunesse, et, reculant d’un pas comme pour mieux me voir :

— Eh ! adieu ! me dit-il, en me saluant à la mode de son pays, car M. Safrac est né sur le bord de la Garonne, au milieu de ces vins illustres qui semblent l’emblème de son âme généreuse et parfumée.

Après avoir professé la philosophie avec éclat à Bordeaux, à Poitiers et à Paris, il demanda pour unique faveur une pauvre cure dans le pays où il était né et où il voulait mourir. Curé d’Artigues depuis six ans, il pratique dans ce village perdu la plus humble piété et la science la plus haute.

— Eh ! adieu ! mon enfant, répétait-il. Vous m’avez écrit, pour m’annoncer votre arrivée, une lettre qui m’a bien touché. Il est donc vrai que vous n’avez point oublié votre vieux maître ?

Je voulus me jeter à ses pieds, en balbutiant encore. « Sauvez-moi ! sauvez-moi ! » Mais il m’arrêta d’un geste à la fois impérieux et doux.

— Ary, me dit-il, vous me direz demain ce que vous avez à me dire. Présentement, chauffez-vous.