Page:Anatole France - Balthasar.djvu/69

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Puis nous souperons, car vous devez avoir grand froid et grand’faim !

La servante apporta sur la table la soupière, d’où montait une colonne de vapeur odorante. C’était une vieille femme dont les cheveux étaient cachés sous un foulard noir et qui mêlait étrangement sur sa face ridée la beauté du type à la laideur de la décrépitude. J’étais profondément troublé ; pourtant la paix de la sainte demeure, la gaieté du feu de sarment, de la nappe blanche, du vin versé et des plats fumants entrèrent peu à peu dans mon âme. Tout en mangeant, j’oubliais presque que j’étais venu au foyer de ce prêtre changer l’aridité de mes remords en la rosée féconde du repentir. M. Safrac me rappela les heures déjà lointaines qui nous avaient réunis sous le toit du collège, où il professait la philosophie.

— Ary, me dit-il, vous étiez mon meilleur élève. Votre prompte intelligence allait sans cesse au delà de la pensée du maître. C’est pourquoi je m’attachai tout de suite à vous. J’aime la hardiesse chez un chrétien. Il ne faut pas que la foi soit timide quand l’impiété montre une indomptable audace. L’Église n’a plus aujourd’hui que des agneaux : il lui faut des