Page:Anatole France - Balthasar.djvu/77

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» — Oh ! moi, répondit-il avec un sourire qui exprimait à la fois la joie et la tristesse, moi, quel changement !… je suis fou… une femme… Ary, je suis bien heureux ou bien malheureux ! Quel nom donner au bonheur qu’on a acheté par une mauvaise action ? J’ai trahi, j’ai désolé un excellent ami… j’ai enlevé, là-bas, à Constantinople, la…

M. Safrac m’interrompit :

— Mon fils, retranchez de votre récit les fautes des autres et ne nommez personne.

Je promis d’obéir et je continuai de la sorte :

— Paul avait à peine achevé de parler quand une femme entra dans la chambre. C’était elle, manifestement : vêtue d’un long peignoir bleu, elle semblait chez elle. Je vous peindrai d’un seul mot l’impression terrible qu’elle me fit. Elle ne me parut pas naturelle. Je sens combien ce terme est obscur et rend mal ma pensée. Mais peut-être deviendra-t-il plus intelligible par la suite de mon récit. En vérité, dans l’expression de ses yeux d’or qui jetaient par moments des gerbes d’étincelles, dans la courbe de sa bouche énigmatique, dans le tissu de sa chair à la fois brune et lumineuse, dans le jeu des lignes heurtées et pourtant harmonieuses de son