Page:Anatole France - Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


15
CRAINQUEBILLE

matin, j’étais sur le carreau des Halles. Depuis sept heures, je me brûle les mains à mes brancards en criant : Des choux, des navets, des carottes ! J’ai soixante ans sonnés. Je suis las. Et vous me demandez si je lève le drapeau noir de la révolte. Vous vous moquez et votre raillerie est cruelle. »

Soit que l’expression de ce regard lui eût échappé, soit qu’il n’y trouvât pas une excuse à la désobéissance, l’agent demanda d’une voix brève et rude si c’était compris.

Or, en ce moment précis, l’embarras des voitures était extrême dans la rue Montmartre. Les fiacres, les haquets, les tapissières, les omnibus, les camions, pressés les uns contre les autres, semblaient indissolublement joints et assemblés. Et sur leur immobilité frémissante s’élevaient des jurons et des cris. Les cochers de fiacre échangeaient de loin, et lentement, avec les garçons bouchers des injures héroïques, et les conducteurs d’omnibus, considérant Crainquebille