Page:Anatole France - Filles et garçons.djvu/39

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plusieurs en peau de truie ; mais ils n’ont pas su pourquoi ces deux belles jeunes filles élevaient une fleur dans leur main.

Ce qu’ils n’ont pu découvrir après avoir travaillé, médité, sué, pâli, mademoiselle Suzanne l’a trouvé tout de suite.

Son papa l’avait menée au Louvre, où il avait affaire. Mademoiselle Suzon regardait les antiques avec surprise et, voyant des dieux à qui il manquait les jambes, les bras, la tête, elle se disait en elle-même : « Ah ! ah ! ce sont là les poupées des messieurs, et je vois que les messieurs cassent leurs poupées comme font les petites filles. » Mais quand elle passa devant les deux jeunes filles qui tiennent une fleur, elle leur envoya un baiser, parce qu’elle les trouvait jolies.

Son père lui demanda alors :

« Pourquoi s’offrent-elles l’une à l’autre une fleur ? »

Et Suzanne répondit aussitôt :

« Pour se souhaiter leur fête. »



Puis, ayant réfléchi un moment, elle ajouta :

« Leur jour de fête est le même, elles sont toutes les deux pareilles et elles s’offrent la même fleur. Les amies devraient avoir toutes le même jour de fête. »

Maintenant Suzanne est loin du Louvre et loin des vieux marbres ; elle est dans le royaume des oiseaux et des fleurs. Elle passe dans les champs, à l’abri des bois, les jours clairs du printemps. Elle joue dans l’herbe, et c’est le plus doux jeu. Elle songe que c’est aujourd’hui la fête de son amie Jacqueline, c’est pourquoi elle va cueillir des fleurs qu’elle donnera à Jacqueline avec des baisers.