Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre, 1879.djvu/17

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— Papa, est-ce que vous connaissez beaucoup ce monsieur ? demanda la jeune femme, avec un air d’indifférence.

— Je le connaissais avant qu’il portât culottes. Et qu’est-ce qui ne connaissait pas son père dans le pays ? De braves gens tout à fait, tout francs et tout ronds. Ils ont du bien. Monsieur Philippe... (nous l’appelons monsieur Philippe) n’emploie pas moins de soixante ouvriers dans son usine.

André crut le moment venu d’exprimer son sentiment :

— Il est vilain, le monsieur, dit-il.

Sa maman lui répondit vivement que, s’il ne parlait que pour dire des sottises, il ferait mieux de se taire.

Depuis lors, le hasard voulut que madame Trévière rencontrât monsieur Lassalle à tous les tournants des routes.

Et la maman d’André devenait inquiète, distraite, songeuse. Elle tressaillait au bruit du vent dans les feuilles. Elle oubliait sa guipure commencée et prenait l’habitude de soutenir son menton dans le creux de sa main.

Un soir d’automne, tandis qu’une grande tempête, venue de la mer, passait avec de longs hurlements sur la maison du père Trévière et sur toute la contrée, la veuve eut hâte de renvoyer la bonne qui faisait le feu