Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre, 1879.djvu/43

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un rêveur, un sentimental. Oh ! je suis romantique au fond. Sais-tu ce que j’aurais fait si les circonstances l’avaient permis ? J’aurais fait de la poésie à la campagne. Mais, que veux-tu ? j’ai été pris corps et âme par les affaires. Maintenant je suis dans l’engrenage jusqu’au cou ! Ah ! dame ! la vie n’est pas tout roses, et il faut savoir faire des sacrifices. Eh bien, ma fillette, mon rêve est de te les épargner, à toi, les sacrifices. Je veux t’éviter les gênes, les misères de l’existence. C’est assez que ta pauvre mère les ait éprouvées et soit morte à la tâche... morte à la tâche, tu m’entends !

Il passa le revers de sa main sur ses yeux. Il était vraiment ému. Dans le fait, sa femme était morte phtisique dans sa famille, à Niort, où il l’avait renvoyée pour se tirer plus lestement d’affaire, seul ; mais il se grisait et s’attendrissait à toutes les paroles qui lui venaient. Il prit entre ses mains la tête de sa fille, la couvrit de baisers et, dans un grand élan :

— Écoute-moi, dit-il ; je te connais bien, ma Lili ;il te faut du bien-être, du luxe. C’est ma faute. J’ai été trop ambitieux. Je n’ai rien trouvé