Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre, 1879.djvu/6

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des Morts, vous avez suivi dans quelque village d’Alsace un vieux maître d’école et un vieux forestier ! Ils portaient l’un et l’autre une couronne sur une tombe ; puis, comme ils étaient seuls au monde en ce jour de pieux souvenirs, sous un ciel sombre et agité, ils s’en allèrent souper ensemble dans la maison forestière.

Vous les avez surpris l’un et l’autre dans la robuste innocence de leur âme, et tout ce que vous avez rapporté de leurs entretiens est bon, et fait éprouver ce doux rafraîchissement — dulce refrigerium — dont parlent les marbres funéraires des premiers chrétiens de Rome.

Votre maître d’école et votre forestier, bien qu’endurcis par l’âge et les travaux de la vie, portent sans le savoir un cœur tendre et gonflé de délicieux souvenirs. Les poètes nous parlent de ces vieux chênes creux qu’habite un essaim d’abeilles et dont l’écorce rugueuse dégoutte de miel. La mémoire de votre excellent magister est pleine de naïves et touchantes histoires. Il y a surtout une petite fille dont il ne parle qu’avec ravissement, et dont il cite des mots admirables. J’en veux rapporter un pour les personnes qui liront cette lettre après vous.

« Je posai la petite à terre (c’est le maître d’école qui parle) et, la main dans la main, nous reprîmes le chemin ensemble. Force m’a été alors de lui raconter