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Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre, 1879.djvu/7

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le malheur qui venait de me frapper. « Plus de fête pour aujourd’hui, ma mignonne, lui dis-je à la fin ; nous sommes en deuil. Mon frère — tu l’as bien connu, il t’aimait bien, il t’apportait des joujoux, — le voilà mort. On le déposera sous terre. Ne pleure donc pas, ma chérie ; c’est à moi seul de pleurer. Oui, il est mort. Que veux-tu ? Il faut en prendre son parti. Quant à la fête, nous la remettrons à l’année prochaine. Tu ne perdras rien à l’attendre. » L’enfant s’arrêta court, et, fixant sur moi ses grands yeux bleus effarés :

« — L’année prochaine, me dit-elle, ton frère ne sera donc plus mort ? » (Le lendemain de la Toussaint, dans la Revue alsacienne de mai 1878.)

Comme ce mot, avec sa droiture naïve et sa sublime ignorance, nous entre avant dans l’âme ! Et l’on sait à Bellevue une petite créature surnommée bien justement l’Éléphant, car elle se serait aisément cachée l’an passé dans le manchon de sa marraine, qui jette en babillant des mots d’une limpidité profonde, comme celui que vous avez si bien noté.

J’ai appris une simple histoire d’enfant que j’aurais eu plaisir à vous dédier. Mais celle-là, bien que je la connaisse dans ses plus fins détails, je ne l’écrirai jamais. Elle rappellerait en plus d’un endroit les scènes délicieuses de Blunderstone la Rookery, et mes personnages, si vrais qu’ils fussent, pâliraient et s’efface-