Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre.djvu/185

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tesque mulâtre qui venait d’Haïti plein d’or et de sourires. Puis il souffla la bougie et s’endormit.

Ses rêves furent peuplés de spectres. L’ombre du cabaretier de l’impasse du Baigneur s’avançait en boitant et répétait avec une douceur terrible : « Pensez à moi, monsieur Godet. »

Il était près de neuf heures et il pleuvait encore quand une lueur de jour entra dans la chambre ; c’était le reflet dégoûtant d’une lumière plusieurs fois souillée avant d’arriver jusque-là. La chambre n’avait de vue que sur le mur de soutènement de la maison voisine, qui dominait de ses cinq étages de plâtre tous les toits du passage. Ce mur de moellon bombé, lézardé, crevé, suintant, verdâtre et terminé par la galerie de brique d’une terrasse à l’italienne, s’élevait de cinq ou six mètres au-dessus de la chambre de monsieur Godet-Laterrasse et la revêtait d’une ombre éternelle. La fenêtre n’était séparée du mur que par une allée marécageuse, large de deux pas, semée de feuilles de salades, de coquilles d’œufs et de débris de cerfs-volants. Le mulâtre, à son réveil, regarda les vitres ruisselantes et souleva ses bottes lourdes, dont les semelles avaient laissé une trace humide sur le parquet.