Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre.djvu/186

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Il les chaussa pourtant, et, ayant achevé sa toilette austère et saisi les ruines de son parapluie, il sortit de sa chambre. En passant devant la loge, d’où sortaient des grognements confus :

— Madame Alexandre, dit-il, je m’occupe de votre petit compte.

Il monta les dix plus hautes marches du passage Cotin, longea, dans un fleuve de boue, la façade désolée du chalet suisse et les chantiers de l’église du Vœu national. Au bas de la rue Lepic, il s’arrêta court pour ne pas marcher sur deux brins de paille collés en croix par la pluie au trottoir, devant la boutique d’un emballeur. Ayant conjuré ce péril (car il ne doutait pas que marcher sur une croix ne fût un présage de malheur), il reprit sa grandeur d’âme et releva sa tête sublime. Il s’avançait en conquérant intellectuel vers le cœur de Paris et portait haut l’armature à huit pointes de son parapluie dévasté, qui semblait l’arme compliquée d’un guerrier sauvage.