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Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre.djvu/209

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quelque chose d’assez bête. Venez-vous avec moi au Chat Maigre ?

Ils s’arrêtèrent à l’endroit le plus resserré, le plus gras, le plus noir, le plus fumeux et le plus nauséabond de la rue Saint-Jacques et entrèrent dans une boutique couverte de petites tables, et dont le fond était formé par un châssis vitré et tendu de rideaux blancs. Sur les murs, sur le châssis, sur le plafond même, il y avait des peintures. C’étaient, pour la plupart, des esquisses heurtées et violentes dont les tons vifs papillotaient sous le scintillement de deux becs de gaz, dans une épaisse atmosphère de fumée de pipe. Sainte-Lucie, qui aimait beaucoup les images, remarqua, en entrant, les toiles les plus voyantes, un corbeau dans la neige, une vieille femme nue, la tête en bas, un aloyau de bœuf dans un journal, et surtout un chat de gouttière découpant entre les tuyaux de cheminée, sur la lune énorme et rousse, sa maigre silhouette noire, arquée comme un pont du moyen âge. Cette œuvre, d’un jeune maître impressionniste, servait d’enseigne à l’établissement. Des jeunes gens buvaient et fumaient autour des tables.