Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre.djvu/225

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cheveux et la jupe bouffant en arrière, et parfois le ventre sous le menton. Il remarquait les balancements gracieux ou les dandinements comiques de toutes ces créatures qui suivaient leur chemin facile ou ardu. Il s’amusait à ces aspects fuyants de la vie et ne gâtait son spectacle par aucune réflexion. Car aucune pensée profonde n’avait encore germé sous sa chevelure épaisse. Ce qui l’intéressait le plus, c’était la maison qui étalait devant lui sa façade de pierre neuve, percée de cinq fenêtres par étage. Il apercevait par les croisées entr’ouvertes des pans de papier peint, des boiseries de salle à manger, des bouts de cadres dorés et des coins de meubles. Tout cela, diminué par la distance (car la rue était large), prenait pour lui les dimensions et l’agrément d’un joujou. Les personnages qui s’agitaient dans ces cases lui semblaient des poupées d’une merveilleuse finesse. Il suffisait d’une tête effarée, apparue tout à coup sur le toit, par une lucarne, et présentant au soleil un crâne chauve ou des yeux clignotants, pour jeter le créole dans une longue gaieté et lui inspirer des douzaines de croquis qu’il déchirait. En quelques jours il connut tout le petit monde qui s’agitait à