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Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre.djvu/233

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chut lui rendait solennellement, tous les matins, la clef de l’atelier, que le sculpteur replaçait tous les matins avec tranquillité sous le paillasson où Branchut venait la reprendre tous les soirs.

Pendant les mois de juillet et d’août, Branchut devint amer, sceptique et fort. Il tournait au grand homme. Il méprisait la femme, qui est, disait-il, un être inférieur. Il affectait de ne pas même regarder Virginie en lui demandant impérieusement des bouteilles de bière que Labanne payait.

Il faisait sur l’art des théories transcendantes.

— J’ai vu dernièrement au muséum, disait-il, une figure de mammouth tracée à la pointe du silex sur une lame d’ivoire fossile. Cette figure date d’une époque préhistorique ; elle est antérieure aux plus vieilles civilisations. C’est l’œuvre d’un sauvage stupide. Mais elle révèle un sentiment artistique bien supérieur aux plus belles conceptions de Michel-Ange. C’est une représentation à la fois idéale et vraie. Et nos meilleurs artistes modernes sacrifient soit la vérité à l’idéal, soit l’idéal à la vérité.

En parlant ainsi, il regardait Labanne avec des yeux révulsés. Mais Labanne était content. Il ap-