Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre.djvu/248

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le faisait ressembler, disaient ses amis, à un scythe couvert de peaux de bête. La pensée de la femme ne quittait pas son esprit et jamais son humeur n’avait été si féroce. Il n’avait plus cet ancien appétit avec lequel il mangeait chaque jour un pain d’un sou. Mais il était brûlé, sous son épaisse toison, d’une soif inextinguible. Un jour que Remi copiait, pour la centième fois, sous la direction de Labanne, le pot à eau qu’on mettait l’hiver sur le poêle de l’atelier, le moraliste Branchut s’empara du vase modèle, pour aller le remplir à la pompe. Quand Branchut reparut, le nez humide et la barbe ruisselante, le jeune créole lui jeta un regard en coulisse qui promettait quelque chose. Branchut appelait la foudre et désirait l’aquilon. Il arrachait des feuillets aux plus beaux livres de Labanne pour y écrire des pensées obscures et terribles. Un orage rafraîchit la ville et détendit les nerfs du moraliste.

Le temps coula ; le temps ramena les cerfs-volants dans le ciel agité de septembre, la brume dans les horizons d’octobre, les poêles de marrons rôtis aux portes des marchands de vin, les oranges dans les voitures à bras, la lanterne magique au