Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre.djvu/252

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tour de la Fontaine des quatre évêques. Quelques passants attardés traversaient vivement la place. L’eau qui s’était échappée de la vasque était gelée sur le bitume et le moraliste glissait à chaque pas. Un vent âpre agitait les pans de son habit. Mais, comme un cheval aveugle qui tourne la meule, le moraliste suivait le bord sans fin de la vasque de pierre. Sur la place déserte, une jeune ouvrière, attardée sans doute par quelque aventure, coupait le vent avec la vive allure et le pas ferme des vraies parisiennes. Une heure sonnait à l’horloge de la mairie et le moraliste tournait encore. Les talons sonores de deux gardiens de la paix troublaient seuls d’un bruit monotone le silence de la nuit. À une heure et demie le philosophe s’éloigna pour relire sous un réverbère le billet parfumé.

« Vous êtes brun et je suis blonde, vous êtes fort et je suis faible. Je vous comprends et je vous aime. Soyez ce soir, à minuit, sur la place Saint-Sulpice, autour du bassin. »

Le rendez-vous était formel. Le philosophe reprit son poste tournant. Le givre le couvrait d’une poussière diamantée. Les pans de son habit, alourdis par l’humidité, pendaient. La place était