Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre.djvu/255

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pour attirer l’œil et provoquer de loin la soif des militaires et des ouvriers. Tout le reste, murs et terrains, était uniformément gris. Les deux maisons qui faisaient face à l’établissement de Télémaque présentaient une façade de plâtre haute de trois étages, à balustres, à baies cintrées, ornée de bustes dans des niches, lézardée, écaillée, moisie, avec des vitres étoilées de papier et des loques pendues aux fenêtres. Des groupes confus d’enfants et de chiens remuaient dans la poussière. Des militaires s’en allaient tout doucement vers la berge, et des femmes en jupon plat portaient des seaux ou des paniers.

La boutique de Télémaque était peinte en rouge ; derrière les vitres, un aloyau et des biftecks s’étalaient dans des plats. Télémaque tenait par les oreilles un lapin mort et souriait. Le vif émail de ses yeux bridés et relevés de côté par la saillie des pommettes brillait sur son visage d’ébène, au nez épaté et aux lèvres lippues. Une laine encore noire floconnait sur sa tête. Mais le front, dégarni par une calvitie régulière, s’élevait en fuyant et découvrait une partie du crâne, dont le sommet formait une sorte de crête.