Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre.djvu/300

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Le mulâtre, méfiant et dissimulé, soupçonna qu’on lui cachait quelque chose. Il eut comme de la joie à emmagasiner les griefs dans sa mémoire et répondit avec une bonhomie parfaite :

— Eh bien, allons déjeuner. Vous devez avoir faim, M. Godet.

Ils déjeunèrent dans un café du boulevard. Le précepteur mangeait peu et regardait avec épouvante le mulâtre colossal avaler les viandes qui nourrissaient sa force. Jamais cet homme ne lui avait paru si grand et si large. D’énormes bras aux muscles de bronze apparaissaient sous les manchettes boutonnées d’or du Haïtien, qui parlait avec une douceur presque enfantine. Le pétillement de ses yeux cruels était amorti par des cils abaissés avec confiance. Et cette confiance ajoutait aux angoisses du précepteur. Le déjeuner traîna en liqueurs et en cigares. Il finit pourtant. Et la voiture, amenée par un garçon de café, emporta vers la rue des Feuillantines le père et le maître.

Celui-ci espérait un miracle. Il s’attendait presque à trouver, par un coup de la Providence, Remi occupé dans sa chambre à piocher son Tacite.