Aller au contenu

Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre.djvu/71

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

papa, elle partait avec un gros soupir. Et lui, sur le palier, rajustant sa calotte dérangée par les embrassements, lui disait à l’oreille :

— Aime bien ton mari, aime-le de tout ton cœur.

Alors elle détestait son mari. Tapie au fond du fiacre, elle se le figura devant elle, sur le dos du cocher, avec ses yeux ternes et ses joues sanguinolentes comme une viande mal cuite. Et elle faisait une grimace de dégoût. Y avait-il au fond de son âme, dans la région des anciennes images, une figure à demi effacée, mais aimable, mais chère, la figure d’un absent qui ne revenait pas ? Dans les soupirs de cette femme ennuyée, n’y en avait-il pas qui, poussés vers quelqu’un, allaient loin, bien loin, sans arriver jamais ?

Un jour qu’ayant laissé tomber sur ses genoux, comme un poids trop lourd, une broderie commencée depuis longtemps, elle regardait, avec cette attention obstinée que donne l’ennui, les imperceptibles irrégularités des glaces de la fenêtre, qui faisaient onduler les profils d’architecture vus au travers, sa femme de chambre lui présenta une carte de la part de quelqu’un qui était là et