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causait un jour, dans un coin de la grande cheminée du Luxembourg, avec un de ses futurs collègues, l’âme la plus chaude et le visage le plus ouvert du parti catholique, le sénateur Chesnelong.

— Accordez-moi, lui dit Ranc, que la religion est d’ordre privé, de conscience individuelle, et nous nous entendrons facilement sur le reste.

À cette proposition, le sénateur catholique se dressa de toute sa taille et répondit avec éclat :

— Cela jamais ! Entendez-vous ? Jamais ! La religion catholique, d’ordre privé ? Non ! D’ordre social, monsieur, d’ordre social et d’autorité.

Le vieux Chesnelong, sous la grande cheminée du Luxembourg, parlait conformément à la doctrine de Rome. Et, quand nous entendrons quelque ministre des Cultes déclarer que les évêques doivent se renfermer dans l’exercice de leur ministère sacré, nous penserons qu’il ne sait pas ce que c’est qu’un évêque catholique ou qu’il feint de ne pas le savoir.

L’Église prétend révéler à l’Humanité ses fins et l’y conduire ; elle se donne pour mission de sauver le monde et, à cet effet, elle a prescrit des formules et des rites particuliers, elle a établi des règles de vie concernant l’union des sexes, l’usage des aliments, les jours de repos, les fêtes, l’éducation des enfants, le droit d’écrire, de parler, de penser. Afin d’assurer l’observation de ces règles, qui, loin d’être toutes d’ordre spirituel, se rapportent pour la plupart à la police des États, il lui faut exercer un droit de contrôle sur l’administration de tous les pays, et