Page:Anatole France - L’Église et la République.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il avait beaucoup entendu parler de cette dame, et que même un avocat de Bordeaux lui avait donné un livre où il était question d’elle. Nous descendîmes dans une galerie de calcaire dont les parois blanches s’éclairaient d’un jour livide.

— C’est là, me dit le religieux, que les sept girondins mis hors la loi se tinrent cachés pendant un mois. Ils y entraient et en sortaient par le puits que vous avez vu dans le jardin et qu’on nomme encore le puits des Girondins.

Nous échangeâmes quelques paroles. Il observait dans ses propos une extrême prudence et s’abstenait de tout jugement. Mais à la façon dont il exposait les faits, il me parut qu’il en savait sur l’histoire de la Révolution dans le département un peu plus qu’on n’aurait attendu d’un esprit aussi peu curieux qu’était certainement le sien.

Evitant moi-même avec soin de toucher aux croyances, aux doctrines, je lui dis quelques mots de ces hommes éloquents et jeunes, tombés de leur brillante popularité, abandonnés de tous, mis hors la loi, enthousiastes encore de leur cause perdue, soucieux, en attendant la mort, de défendre leur mémoire, et je prononçai avec sympathie le nom de cette aimable femme qui les nourrissait dans un moment de disette, elle-même rationnée, suspecte dès qu’elle cherchait des vivres, et qui cachait des proscrits, sans craindre ce qu’un républicain d’alors appelait la contagion du supplice.

Après m’avoir écouté très attentivement, le frère