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mémoires d’un volontaire

du mal aurait même échappé à leurs mains avilies. »

Quand vinrent les vacances, j’eus grande joie à revoir notre maison. Mais je la trouvai bien petite. Quand j’entrai, ma mère, courbée sur le foyer, écumait le pot-au-feu. Je la trouvai toute petite aussi, ma bonne mère, et je l’embrassai en sanglotant.

L’écumoire à la main, elle me conta que mon père, alourdi par l’âge et les douleurs, ne soignait plus le verger ; que l’aînée de mes sœurs était promise en mariage au fils du tonnelier et que le sacristain de la paroisse avait été trouvé mort dans sa chambre, une bouteille à la main, les doigts crispés serraient si fort le goulot qu’on crut qu’on ne les détacherait pas. Pourtant il n’était pas décent qu’on portât le sacristain à l’église avec sa bouteille de vin gris. En écoutant ma mère, j’eus pour la première fois l’idée sensible de la fuite du temps et de l’écoulement des choses ; je tombai dans une sorte de torpeur.

— Que tu as bon air, mon fils ! disait ma mère. Va ! dans ta veste de basin, tu sembles déjà un petit curé tout craché.