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mémoires d’un volontaire

souvent des confidences dans lesquelles M. Mille n’avait point de part.

D’ailleurs il avait perdu la foi, sinon le courage. La fuite humiliante de Louis XVI l’affligea plus que je ne saurais dire ; mais après le retour de Varennes, il se montra assidu auprès du souverain prisonnier qui avait méprisé ses conseils et suspecté ses sentiments. Mon cher seigneur resta désespérément fidèle à la royauté mourante. Le 10 Août, il était au Château, et c’est par une sorte de miracle qu’il échappa au peuple, et qu’il put regagner son hôtel. Dans la nuit, il me fit appeler. Je le trouvai revêtu des habits d’un de ses intendants.

— Adieu, me dit-il, je fuis une terre dévouée à tous les genres de désolations et de crimes. Après-demain j’aurai touché les côtes de l’Angleterre. J’emporte trois cents louis ; c’est tout ce que j’ai pu réaliser de ma fortune. Je laisse ici des biens considérables. Je n’ai que vous à qui me fier. Mille est un sot. Prenez mes intérêts. Je sais qu’il y aura du danger à le faire ; mais je vous estime assez pour vous confier des soins périlleux.