Page:Anatole France - L’Étui de nacre.djvu/241

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
233
mémoires d’un volontaire

guré du caractère de M. Larisse. Il était anéanti. La peur même le jetait dans le péril. Je le pris par le bras, il me suivit sans résistance.

— Mais vous me menez à la mort, me dit-il doucement.

— À la gloire ! lui répondis-je.

Je ne sais s’il connaissait ses tragiques, mais il était sensible à l’honneur ; il parut flatté. Il avait quelque littérature, car me quittant le bras pour se rendre dans son arrière-boutique :

— Cher monsieur, me dit-il, laissez-moi mettre du moins mon bel habit. Dans l’antiquité, les victimes étaient parées de fleurs. Je l’ai lu dans l’Almanach des honnêtes gens.

Il tira de sa commode un habit bleu qu’il passa autour de sa longue et flexible personne. C’est dans cet équipage qu’il m’accompagna à l’assemblée générale de la section des Postes, qui était en permanence.

Au seuil de l’église désaffectée, sur la porte de laquelle on lisait les mots : Liberté, égalité, fraternité ou la mort, M. Larisse sentit une sueur lui monter au front ; il entra pourtant. Un des citoyens qui dormait là, au milieu de bouteilles vides, se réveilla à demi pour exa-