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mémoires d’un volontaire

de travail), il faut aussi de ça (ce qu’il entendait de son front, siège de l’intelligence). »

Il nous vanta ensuite son génie naturel et se plaignit que ses parents ne lui eussent pas donné d’instruction. Puis il se mit en devoir de signer notre déclaration. En dépit de sa bonne volonté, ce fut long. Pendant que ses mains, habituées à la meule, maniaient péniblement la plume, le dégraisseur Bistac entra dans la salle. Bistac n’avait pas la bonne humeur du gagne-petit. Il avait l’âme jacobine. À notre vue, son front se plissa, ses narines se gonflèrent : il flairait des aristocrates.

— Qui es-tu ? me demanda-t-il.

— Pierre Aubier.

— Eh bien ! Pierre Aubier, t’es-tu flatté de coucher cette nuit dans ton lit ?

Je fis assez bonne contenance, mais mon compagnon se mit à frissonner de tous ses membres. Ses os claquaient si fort que Bistac y prit garde et m’oublia pour ne plus s’occuper que du pauvre Larisse.

— Tu m’as tout l’air d’un conspirateur, dit Bistac, d’une voix terrible. Quelle est ta profession ?