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le petit soldat de plomb

heure ou deux. Pour l’instant nous n’avons rien de mieux à faire que de causer. Voulez-vous que je vous conte une histoire du vieux temps ? J’en sais plus d’une.

— Contez, dit Pannychis.

— Contez, dit la batteuse de beurre.

— Contez donc, La Tulipe, fis-je à mon tour.

Il s’assit, bourra sa pipe, se versa un verre de vin, toussa et commença en ces termes :


— Il y a quatre-vingt-dix-neuf ans, jour pour jour, j’étais sur un guéridon avec une douzaine de camarades qui me ressemblaient comme des frères ; les uns debout, les autres couchés ; plusieurs endommagés de la tête ou des pieds : débris héroïques d’une boîte de soldats de plomb achetée l’année précédente à la foire Saint-Germain. La chambre était tendue de soie bleu pâle. Une épinette sur laquelle était ouverte la Prière d’Orphée, des chaises ayant une lyre pour dossier, un bonheur du jour en acajou, un lit blanc orné de roses, le long de la corniche des couples de colombes, tout souriait avec une grâce atten-