Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/118

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Samuel n’est plus en état d’étonner les monstres par son innocence. L’année de la comète, le Diable, pour le séduire, mit un jour sur son chemin une laitière qui troussait son cotillon pour passer un gué. Samuel fut tenté ; mais il surmonta la tentation. Le Diable, qui ne se lasse pas, lui envoya dans un songe, l’image de cette jeune fille. L’ombre fit ce que n’avait pu faire le corps : Samuel succomba. À son réveil, il trempa de ses larmes sa couche profanée. Hélas ! le repentir ne lui rendit point son innocence.

En entendant ce récit, Samuel se demandait comment son secret pouvait être connu, car il ne savait pas que le Diable avait emprunté l’apparence du frère Régimental pour troubler en leur cœur les moines d’Alca.

Et le vieillard Maël songeait, et il se demandait avec angoisse :

— Qui nous délivrera de la dent du dragon ? Qui nous préservera de son haleine ? Qui nous sauvera de son regard ?

Cependant les habitants d’Alca commençaient à prendre courage. Les laboureurs des Dombes et les bouviers de Belmont juraient que, contre un animal féroce, ils vaudraient mieux qu’une fille, et ils s’écriaient, en se tapant le gras du bras : « Ores vienne le dragon ! » Beaucoup d’hommes et de femmes l’avaient vu. Ils ne s’entendaient pas sur sa forme et sa figure, mais tous