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comme on devrait dire), je me présentai chez l’un d’eux, vieillard subtil.

— Je viens, monsieur, lui dis-je, vous demander les conseils de votre expérience. Je me donne grand mal pour composer une histoire, et je n’arrive à rien.

Il me répondit en haussant les épaules :

— À quoi bon, mon pauvre monsieur, vous donner tant de peine, et pourquoi composer une histoire, quand vous n’avez qu’à copier les plus connues, comme c’est l’usage ? Si vous avez une vue nouvelle, une idée originale, si vous présentez les hommes et les choses sous un aspect inattendu, vous surprendrez le lecteur. Et le lecteur n’aime pas à être surpris. Il ne cherche jamais dans une histoire que les sottises qu’il sait déjà. Si vous essayez de l’instruire, vous ne ferez que l’humilier et le fâcher. Ne tentez pas de l’éclairer, il criera que vous insultez à ses croyances.

» Les historiens se copient les uns les autres. Ils s’épargnent ainsi de la fatigue et évitent de paraître outrecuidants. Imitez-les et ne soyez pas original. Un historien original est l’objet de la défiance, du mépris et du dégoût universels.

» Croyez-vous, monsieur, ajouta-t-il, que je serais considéré, honoré comme je suis, si j’avais mis dans mes livres d’histoire des nouveautés ? Et