Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/160

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’avoir assez vécu pour voir surgir un nouvel art et la renommée couronner de nouveaux artistes. » Ces lignes, que je traduis littéralement, ont inspiré à sir James Tuckett les pages les plus suaves, peut-être, de son œuvre. Elles font partie du Bréviaire des esthètes ; tous les préraphaélites les savent par cœur. Je veux les placer ici comme le plus précieux ornement de ce livre. On s’accorde à reconnaître qu’il ne fut rien écrit de plus sublime depuis les prophètes d’Israël.

LA VISION DE MARGARITONE

Margaritone, chargé d’ans et de travaux, visitait un jour l’atelier d’un jeune peintre nouvellement établi dans la ville. Il y remarqua une madone encore toute fraîche, qui, bien que sévère et rigide, grâce à une certaine exactitude dans les proportions et à un assez diabolique mélange d’ombres et de lumières, ne laissait pas que de prendre du relief et quelque air de vie. À cette vue, le naïf et sublime ouvrier d’Arezzo découvrit avec horreur l’avenir de la peinture.

Il murmura, le front dans les mains :

— Que de hontes cette figure me fait pressentir ! J’y discerne la fin de l’art chrétien, qui peint les âmes et inspire un ardent désir du ciel. Les peintres futurs ne se borneront pas, comme celui-ci, à