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Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/161

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rappeler sur un pan de mur ou un panneau de bois la matière maudite dont nos corps sont formés : ils la célèbreront et la glorifieront. Ils revêtiront leurs figures des dangereuses apparences de la chair ; et ces figures sembleront des personnes naturelles. On leur verra des corps ; leurs formes paraîtront à travers leurs vêtements. Sainte Madeleine aura des seins, sainte Marthe un ventre, sainte Barbe des cuisses, sainte Agnès des fesses (buttocks) ; saint Sébastien dévoilera sa grâce adolescente et saint Georges étalera sous le harnais les richesses musculaires d’une virilité robuste ; les apôtres, les confesseurs, les docteurs et Dieu le Père lui-même paraîtront en manière de bons paillards comme vous et moi ; les anges affecteront une beauté équivoque, ambiguë, mystérieuse qui troublera les cœurs. Quel désir du ciel vous donneront ces représentations ? Aucun ; mais vous y apprendrez à goûter les formes de la vie terrestre. Où s’arrêteront les peintres dans leurs recherches indiscrètes ? Ils ne s’arrêteront point. Ils en arriveront à montrer des hommes et des femmes nus comme les idoles des Romains. Il y aura un art profane et un art sacré, et l’art sacré ne sera pas moins profane que l’autre.

» — Arrière ! démons ! s’écria le vieux maître.

» Car en une vision prophétique, il découvrait les justes et les saints devenus pareils à des athlètes