Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/165

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Nourri dans des âges barbares, avant la résurrection des Muses, frère Hilaire n’est point initié à la sagesse antique ; toutefois la poésie du Mantouan a, comme un flambeau subtil, jeté quelques lueurs dans son intelligence.

— Frère Marbode, me demanda-t-il, ces vers que vous soupirez ainsi, la poitrine gonflée et les yeux étincelants, appartiennent-ils à cette grande Énéide dont, matin ni soir, vous ne détournez guère les yeux ?

Je lui répondis que je lisais de Virgile comment le fils d’Anchise aperçut Didon pareille à la lune derrière le feuillage[1].

— Frère Marbode, répliqua-t-il, je suis certain que Virgile exprime en toute occasion de sages maximes et des pensées profondes. Mais les chants qu’il modula sur la flûte syracusaine présentent un sens si beau et une si haute doctrine, qu’on en demeure ébloui.

— Prenez garde, mon père, s’écria frère Jacinthe d’une voix émue. Virgile était un magicien qui accomplissait des prodiges avec l’aide des démons. C’est ainsi qu’il perça une montagne près de Naples et qu’il fabriqua un cheval de bronze ayant le pouvoir de guérir tous les che-

  1. Le texte porte

    xxxxxxxxx… qualem primo qui surgere mense
    Aut videt aut vidisse putat per nubila lunam.

    Frère Marbode, par une étrange inadvertance, substitue à l’image créée par le poète une image toute différente.