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— Mais quelle raison donnas-tu, Virgile, d’un refus si étrange ?

— J’en donnai d’excellentes. Je dis à l’envoyé du dieu que je ne méritais point l’honneur qu’il m’apportait, et que l’on supposait à mes vers un sens qu’ils ne comportaient pas. En effet, je n’ai point trahi dans ma quatrième Églogue la foi de mes aïeux. Des juifs ignorants ont pu seuls interpréter en faveur d’un dieu barbare un chant qui célèbre le retour de l’âge d’or, prédit par les oracles sibylliens. Je m’excusai donc sur ce que je ne pouvais pas occuper une place qui m’était destinée par erreur et à laquelle je ne me reconnaissais nul droit. Puis, j’alléguai mon humeur et mes goûts, qui ne s’accordaient pas avec les mœurs des nouveaux cieux.

» — Je ne suis point insociable, dis-je à cet homme ; j’ai montré dans la vie un caractère doux et facile. Bien que la simplicité extrême de mes habitudes m’ait fait soupçonner d’avarice, je ne gardais rien pour moi seul ; ma bibliothèque était ouverte à tous, et j’ai conformé ma conduite à cette belle parole d’Euripide : « Tout doit être commun entre amis ». Les louanges, qui m’étaient importunes quand je les recevais, me devenaient agréables lorsqu’elles s’adressaient à Varius ou à Macer. Mais au fond, je suis rustique et sauvage, je me plais dans la société des bêtes ; je mis tant de soin à