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Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/174

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les observer, je prenais d’elles un tel souci que je passai, non point tout à fait à tort, pour un très bon vétérinaire. On m’a dit que les gens de votre secte s’accordaient une âme immortelle et en refusaient une aux animaux : c’est un non-sens qui me fait douter de leur raison. J’aime les troupeaux et peut-être un peu trop le berger. Cela ne serait pas bien vu chez vous. Il y a une maxime à laquelle je m’efforçai de conformer mes actions : rien de trop. Plus encore que ma faible santé, ma philosophie m’instruisit à user des choses avec mesure. Je suis sobre ; une laitue et quelques olives, avec une goutte de falerne, composaient tout mon repas. J’ai fréquenté modérément le lit des femmes étrangères ; et je ne me suis pas attardé outre mesure à voir, dans la taverne, danser au son du crotale, la jeune syrienne[1]. Mais si j’ai contenu mes désirs, ce fut pour ma satisfaction et par bonne discipline : craindre le plaisir et fuir la volupté m’eût paru le plus abject outrage qu’on pût faire à la nature. On m’assure que durant leur vie certains parmi les élus de ton dieu s’abstenaient de nourriture et fuyaient les femmes par amour de la privation et s’exposaient volontairement à d’inutiles souffrances. Je craindrais de rencontrer ces criminels dont la frénésie me

  1. Cette phrase semble bien indiquer que, si l’on en croyait Marbode, la Copa serait de Virgile.