Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/179

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’il soit, s’il se peut, aussi mauvais poète que Bavius et Maevius, ce n’est pas ce que je lui reprocherai ; j’ai contre lui des griefs qui me touchent davantage. Chose vraiment monstrueuse et à peine croyable ! cet homme, retourné sur la terre, y sema, à mon sujet, d’odieux mensonges ; il affirma, en plusieurs endroits de ses poèmes sauvages, que je lui avais servi de compagnon dans le moderne Tartare, que je ne connais pas ; il publia insolemment que j’avais traité les dieux de Rome de dieux faux et menteurs et tenu pour vrai Dieu le successeur actuel de Jupiter. Ami, quand, rendu à la douce lumière du jour, tu reverras ta patrie, démens ces fables abominables ; dis bien à ton peuple que le chantre du pieux Énée n’a jamais encensé le dieu des Juifs.

» On m’assure que sa puissance décline et qu’on reconnaît, à des signes certains, que sa chute est proche. Cette nouvelle me causerait quelque joie si l’on pouvait se réjouir dans ces demeures où l’on n’éprouve ni craintes ni désirs. »

Il dit et, avec un geste d’adieu, s’éloigna. Je contemplai son ombre qui glissait sur les asphodèles sans en courber les tiges ; je vis qu’elle devenait plus ténue et plus vague à mesure qu’elle s’éloignait de moi ; elle s’évanouit avant d’atteindre le bois des lauriers toujours verts. Alors, je compris le sens de ces paroles : « Les morts n’ont de vie que celle que leur prêtent les vivants », et je