Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/178

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la poésie, ni la science, ni même la langue des Grecs et ne possédait sur l’origine du monde et la nature des dieux aucune tradition antique. Il récitait gravement des fables qui, de mon temps, à Rome, eussent fait rire les petits enfants qui ne payent pas encore pour aller au bain. Le vulgaire croit facilement aux monstres. Les Étrusques particulièrement ont peuplé les enfers de démons hideux, pareils aux songes d’un malade. Que les imaginations de leur enfance ne les aient point quittés après tant de siècles, c’est ce qu’expliquent assez la suite et les progrès de l’ignorance et de la misère ; mais qu’un de leurs magistrats, dont l’esprit s’élève au-dessus de la commune mesure, partage les illusions populaires et s’effraie de ces démons hideux que, au temps de Porsena, les habitants de cette terre peignaient sur les murs de leurs tombeaux, voilà ce dont le sage lui-même peut s’attrister. Mon Étrusque me récita des vers composés par lui dans un dialecte nouveau, qu’il appelait la langue vulgaire, et dont je ne pouvais comprendre le sens. Mes oreilles furent plus surprises que charmées d’entendre que, pour marquer le rythme, il ramenait à intervalles réguliers trois ou quatre fois le même son. Cet artifice ne me semble point ingénieux ; mais ce n’est pas aux morts à juger les nouveautés.

» Au reste, que ce colon de Sylla, né dans des temps infortunés, fasse des vers inharmonieux,