Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/238

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Agaric ; et elle les entrecoupait de baisers et de soupirs. Elle lui demandait d’éloigner tel officier, de donner un commandement à tel autre, d’envoyer l’escadre ici ou là.

Et elle s’écriait à point :

— Comme vous êtes jeune, mon ami !

Et il faisait tout ce qu’elle voulait, car il était simple, car il avait envie de porter l’épée de connétable et de recevoir une riche dotation, car il ne lui déplaisait pas de jouer un double jeu, car il avait vaguement l’idée de sauver la Pingouinie, car il était amoureux.

Cette femme délicieuse l’amena à dégarnir de troupes le port de La Crique, où devait débarquer Crucho. On était de la sorte assuré que le prince entrerait sans obstacle en Pingouinie.

Le pieux Agaric organisait des réunions publiques, afin d’entretenir l’agitation. Les dracophiles en donnaient chaque jour une ou deux ou trois dans un des trente-six districts d’Alca, et, de préférence, dans les quartiers populaires. On voulait conquérir les gens de petit état, qui sont le plus grand nombre. Il fut donné notamment, le quatre mai, une très belle réunion dans la vieille halle aux grains, au cœur d’un faubourg populeux plein de ménagères assises sur le pas des portes et d’enfants jouant dans les ruisseaux. Il était venu là deux mille personnes, à l’estimation des républicains, et six mille au compte des draco-