Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/372

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Il annonça la commande de quatre cuirassés, des poursuites contre les socialistes et manifesta son intention formelle de repousser tout impôt inquisitorial sur le revenu. Le choix du ministre des finances, Terrasson, fut particulièrement approuvé de la grande presse. Terrasson, vieux ministre fameux par ses coups de Bourse, autorisait toutes les espérances des financiers et faisait présager une période de grandes affaires. Bientôt se gonfleraient du lait de la richesse ces trois mamelles des nations modernes : l’accaparement, l’agio et la spéculation frauduleuse. Déjà l’on parlait d’entreprises lointaines, de colonisation, et les plus hardis lançaient dans les journaux un projet de protectorat militaire et financier sur la Nigritie.

Sans avoir encore donné sa mesure, Hippolyte Cérès était considéré comme un homme de valeur ; les gens d’affaires l’estimaient. On le félicitait de toutes parts d’avoir rompu avec les partis extrêmes, les hommes dangereux, d’être conscient des responsabilités gouvernementales.

Madame Cérès brillait seule entre toutes les dames du ministère. Crombile séchait dans le célibat ; Paul Visire s’était marié richement, dans le gros commerce du Nord, à une personne comme il faut, mademoiselle Blampignon, distinguée, estimée, simple, toujours malade, et que l’état de sa santé retenait constamment chez