Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/376

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pêchait du matin au soir, dans une barque que le président du conseil s’était empressé de mettre à sa disposition.

Cependant Éveline et Paul Visire faisaient quelquefois ensemble un tour de jardin, un bout de causerie dans le salon. Éveline, tout en reconnaissant la séduction qu’il exerçait sur les femmes, n’avait encore déployé pour lui qu’une coquetterie intermittente et superficielle, sans intentions profondes ni dessein arrêté. Il était connaisseur et la savait jolie ; la Chambre et l’Opéra lui ôtaient tout loisir, mais, dans le petit château, les yeux gris de lin et la taille ronde d’Éveline prenaient du prix à ses yeux. Un jour qu’Hippolyte Cérès pêchait dans l’Aiselle, il la fit asseoir près de lui sur le sopha de la favorite. À travers les fentes des rideaux, qui la protégeaient contre la chaleur et la clarté d’un jour ardent, de longs rayons d’or frappaient Éveline, comme les flèches d’un Amour caché. Sous la mousseline blanche, toutes ses formes, à la fois arrondies et fuselées, dessinaient leur grâce et leur jeunesse. Elle avait la peau moite et fraîche et sentait le foin coupé. Paul Visire se montra tel que le voulait l’occasion ; elle ne se refusa pas aux jeux du hasard et de la société. Elle avait cru que ce ne serait rien ou peu de chose : elle s’était trompée.

« Il y avait, dit la célèbre ballade allemande, sur la place de la ville, du côté du soleil, contre