Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/377

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le mur où courait la glycine, une jolie boîte aux lettres, bleue comme les bleuets, souriante et tranquille.

» Tout le jour venaient à elle, dans leurs gros souliers, petits marchands, riches fermiers, bourgeois et le percepteur et les gendarmes, qui lui mettaient des lettres d’affaires, des factures, des sommations et des contraintes d’avoir à payer l’impôt, des rapports aux juges du tribunal et des convocations de recrues : elle demeurait souriante et tranquille.

» Joyeux ou soucieux, s’acheminaient vers elle journaliers et garçons de ferme, servantes et nourrices, comptables, employés de bureau, ménagères tenant leur petit enfant dans les bras ; ils lui mettaient des faire-part de naissances, de mariages et de mort, des lettres de fiancés et de fiancées, des lettres d’époux et d’épouses, de mères à leurs fils, de fils à leur mère : elle demeurait souriante et tranquille.

» À la brune, des jeunes garçons et des jeunes filles se glissaient furtivement jusqu’à elle et lui mettaient des lettres d’amour, les unes mouillées de larmes qui faisaient couler l’encre, les autres avec un petit rond pour indiquer la place du baiser, et toutes très longues ; elle demeurait souriante et tranquille.

» Les riches négociants venaient eux-mêmes, par prudence, à l’heure de la levée, et lui met-