Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/41

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raude la vague écumeuse, elles chantèrent en cadence :

Où cours-tu, doux Maël,
Dans ton auge éperdue ?
Ta voile est gonflée
Comme le sein de Junon
Quand il en jaillit la Voie lactée.

Un moment elles le poursuivirent, sous les étoiles, de leurs rires harmonieux. Mais la cuve fuyait plus rapide cent fois que le navire rouge d’un Viking. Et les pétrels, surpris dans leur vol, se prenaient les pattes aux cheveux du saint homme.

Bientôt une tempête s’éleva, pleine d’ombre et de gémissements, et l’auge, poussée par un vent furieux, vola comme une mouette dans la brume et la houle.

Après une nuit de trois fois vingt-quatre heures, les ténèbres se déchirèrent soudain. Et le saint homme découvrit à l’horizon un rivage plus étincelant que le diamant. Ce rivage grandit rapidement, et bientôt, à la clarté glaciale d’un soleil inerte et bas, Maël vit monter au-dessus des flots une ville blanche, aux rues muettes, qui, plus vaste que Thèbes aux cent portes, étendait à perte de vue les ruines de son forum de neige, de ses palais de givre, de ses arcs de cristal et de ses obélisques irisés.

L’océan était couvert de glaces flottantes, autour desquelles nageaient des hommes marins