Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/429

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Caroline tourna le regard vers le même côté.

— Que le temps est beau ! dit-elle. Le soleil brille et change en or les fumées de l’horizon. Ce qu’il y a de plus pénible dans la civilisation, c’est d’être privé de la lumière du jour.

Il ne répondait pas ; son regard restait fixé sur un point de la ville.

Après quelques secondes de silence, ils virent, à une distance de trois kilomètres environ, au delà de la rivière, dans le quartier le plus riche, s’élever une sorte de brouillard tragique. Un moment après, une détonation retentit jusqu’à eux, tandis que montait vers le ciel pur un immense arbre de fumée. Et peu à peu l’air s’emplissait d’un imperceptible bourdonnement formé des clameurs de plusieurs milliers d’hommes. Des cris éclataient tout proches dans le square.

— Qu’est-ce qui saute ?

La stupeur était grande ; car, bien que les catastrophes fussent fréquentes, on n’avait jamais vu une explosion d’une telle violence et chacun s’apercevait d’une terrible nouveauté.

On essayait de définir le lieu du sinistre ; on nommait des quartiers, des rues, divers édifices, clubs, théâtres, magasins. Les renseignements topographiques se précisèrent, se fixèrent.

— C’est le trust de l’acier qui vient de sauter.

Clair remit sa montre dans sa poche.

Caroline le regardait avec une attention