Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/70

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du Seigneur et dis à ces oiseaux : « Soyez des hommes ! »

Et le saint homme Maël, ayant pleuré et prié, s’arma du Nom puissant du Seigneur et dit aux oiseaux :

— Soyez des hommes !

Aussitôt les pingouins se transformèrent. Leur front s’élargit et leur tête s’arrondit en dôme, comme Sainte-Marie Rotonde dans la ville de Rome. Leurs yeux ovales s’ouvrirent plus grands sur l’univers ; un nez charnu habilla les deux fentes de leurs narines ; leur bec se changea en bouche et de cette bouche sortit la parole ; leur cou s’accourcit et grossit ; leurs ailes devinrent des bras et leurs pattes des jambes ; une âme inquiète habita leur poitrine.

Pourtant il leur restait quelques traces de leur première nature. Ils étaient enclins à regarder de côté ; ils se balançaient sur leurs cuisses trop courtes ; leur corps restait couvert d’un fin duvet.

Et Maël rendit grâces au Seigneur de ce qu’il avait incorporé ces pingouins à la famille d’Abraham.

Mais il s’affligea à la pensée que, bientôt, il quitterait cette île pour n’y plus revenir et que, loin de lui, peut-être, la foi des pingouins périrait, faute de soins, comme une plante trop jeune et trop tendre. Et il conçut l’idée de transporter leur île sur les côtes d’Armorique.