Page:Anatole France - L’Anneau d’améthyste.djvu/386

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pas toute son âme. Rara, par son humeur sombre et ses appétits féroces, la désespérait. Elle n’allait plus qu’en tremblant aux rendez-vous dont jadis elle appelait avec tant d’ardeur l’heure délicieuse. Naturellement confiante et tranquille, elle craignait maintenant pour lui, pour elle-même, des dangers, une catastrophe, un scandale. L’état moral de son ami, qui n’avait jamais été satisfaisant, s’était aggravé tout à coup. Depuis le suicide du colonel Henry, Rara était devenu effrayant. Un sang âcre avait, comme du vitriol, mordu sa peau, marqué son front, ses paupières, ses joues, de fumée, de soufre et de feu. Pour des causes inconnues, dont elle ne perçait point l’obscurité, ce cher ami, depuis quinze jours, ne rentrait plus au domicile qu’il avait élu en face du Moulin-Rouge, et qui était son domicile légal. Il se faisait envoyer ses lettres et il recevait ses visites dans le petit entresol loué par madame de Bonmont pour un autre usage.