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femme Cortot des peines dues aux faux témoins. Un de mes arguments frappa surtout l’esprit des jurés. Je leur rappelai qu’au dire des voisins, les chiens de garde n’avaient point aboyé à l’assassin. C’est donc qu’ils le connaissaient. Ce n’était donc pas un étranger. C’était le valet de charrue, c’était Poudrailles. Enfin, je demandai sa tête. Et je l’obtins. Poudrailles fut condamné à mort à la majorité des voix. Après la lecture de la sentence, il s’écria d’une voix forte : « Je suis innocent ! » Alors un doute terrible me saisit. Je songeai qu’après tout il pouvait dire vrai et que cette certitude que j’avais fait passer dans l’esprit des jurés n’était point en moi. Mes confrères, mes maîtres, mes aînés et jusqu’à l’avocat du condamné venaient me féliciter de ce beau succès, applaudir ma jeune et redoutable éloquence. Ces louanges m’étaient douces. Vous connaissez, messieurs, la délicate pensée de Vauvenargues sur les premiers rayons de la gloire. Cependant la