Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/139

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Ne prenez point un visage soucieux. Les mystères que je vous dévoilerai sont sublimes, à la vérité, mais aimables.

Ayant parlé ainsi, il me conduisit sur le bord de la Seine, jusqu’à l’île aux Cygnes, qui s’élevait au milieu du fleuve comme un navire de feuillage. Là, il fit signe au passeur, dont le bac nous porta dans l’île verte, fréquentée seulement par quelques invalides qui, dans les beaux jours, y jouent aux boules et vident une chopine. La nuit allumait ses premières étoiles dans le ciel et donnait une voix aux insectes de l’herbe. L’île était déserte. M. d’Astarac s’assit sur un banc de bois, à l’extrémité claire d’une allée de noyers, m’invita à prendre place à son côté, et me parla en ces termes :

— Il est trois sortes de gens, mon fils, à qui le philosophe doit cacher ses secrets. Ce sont les princes, parce qu’il serait imprudent d’ajouter à leur puissance ; les ambitieux, dont il ne faut pas armer le génie impitoyable, et les débauchés, qui trouveraient dans la science cachée le moyen d’assouvir leurs mauvaises passions. Mais je puis m’ouvrir à vous, qui n’êtes ni débauché, car je compte pour rien l’erreur où tantôt vous alliez tomber dans les bras de cette fille, ni ambitieux, ayant vécu